Le sachez tu !?
"Tire sur la chevillette et la bobinette cherra" : ce sont les précisions sibyllines que donne la grand-mère au petit chaperon rouge pour lui indiquer comment entrer dans sa maison.
(Aujourd'hui, elle lui donnerait le code d'accès du digicode et l'on comprendrait mieux
).
Cette expression surprenante, magique, revient plusieurs fois, un peu comme "sésame ouvre-toi", mais signifie tout simplement :
"retire la cheville et la bobine tombera".
En effet, la bobine était la partie mobile, pivotant autour d'un axe fixé dans le chambranle d'une targette, un loquet, et maintenait la porte close, une fois fixée parallèlement à celle ci.
Pour fermer la porte, il fallait qu'une cheville empêchât la targette de retomber, ou de "cherrer", forme ancienne du verbe choir.
La porte pouvait être ouverte des deux côtés, puisque la cheville dépassait du trou sur chaque face.
A partir du moment où l'on utilisa un objet pour pousser la cheville, la "clé" était née...
La petite cheville était maintenue par une ficelle pour éviter d'être perdue.
Certains psychanalystes ont décortiqué ce conte, initialement de tradition orale, en montrant les nombreuses connotations sexuelles qu'on y rencontre et la symbolique de la porte qui s'ouvre est (presque) évidente.
"Le Petit Chaperon Rouge" est, en effet, une mise en garde adressée une petite fille encore non sexuée (LE petit chaperon) contre des périls qu'on ne veut pas encore lui expliquer.
Mais on pressent bien tous les vrais dangers qui la guettent :
le fait qu'elle rencontre le loup, seule, devrait déjà nous mettre sur la piste.
Il faut se rappeler qu'autrefois, les jeunes filles vierges, chastes et candides, arrivaient au soir du mariage, sans trop savoir ce qu'il allait leur arriver, se contentant parfois d'un simple, mais angoissant : "- Fais tout ce que ton mari te demandera... "
Ceci explique que beaucoup tombaient enceintes avant le mariage, sans avoir trop compris pourquoi, et par "l'opération du saint Esprit"...
Le petit chaperon rouge, confiante, finit donc dans le lit du loup et ne réagit pas au danger, quoiqu'un peu surprise par son aspect :
ses grands bras, ses grandes jambes, ses poils, sa grande queue... (non, ça, ce n'est pas dans la version originale
) et, surprise,
elle finit quand même par... se faire croquer toute crue (et toute nue, puisqu'il est précisé qu'elle se déshabilla pour se glisser dans le lit)...
Dans la version plus tardive des frères Grimm, Jacob et Wilhelm, (1785-1863) tout finit bien, puisque le chasseur libère la grand-mère et le petit chaperon rouge du ventre du loup...
Dans la version de Charles Perrault (1628-1703) il existe une morale finale explicite, qui révèle toute la symbolique et qui est malheureusement désormais omise dans les versions enfantines :
"On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le Loup mange.
Je dis le Loup, car tous les Loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte* (gracieuse, aimable),
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles* (alcôves d'un lit) ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces Loups doucereux,
De tous les Loups sont les plus dangereux".
Pour être exhaustive, il faut encore noter que le chaperon est un petit capuchon, ou capuche protectrice, rouge, couleur du sang.
Le petit chaperon enlève cette capuche en se glissant dans le lit du loup : ceci peut faire penser à un hymen abandonné...
Dessin de Gustave Doré (1832 Strasbourg-1883 Paris)
gravure sur bois d'Adolphe Pannemaker. Colorisée
19,3 cm x 24,6 cm
publiée dans les Contes de Charles Perrault
aux éditions J. Hetzel (Paris), 1862, p. XII.
BnF, département des Estampes et de la Photographie
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