Le sachez tu !? :o Chronique étymologique et culturelle par Laurence Chalon

Le sachez tu !? :o Petite chronique étymologique et culturelle par Laurence Chalon

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jeudi 2 juin 2022

Le Sachez tu !? Leon et Sofia Octobre 1910.

 Le Sachez tu !?

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Leon et Sofia Octobre 1910.
Tolstoï décide à 82 ans de fuir sa femme, après un demi-siècle de mariage, pour mener la vie de chrétien primitif qu'il prône depuis des années. Il fuit son train de vie, sa renommée et son milieu. Le vieillard lubrique obéit enfin aux commandements puritains dont il accablait sa femme avant de la saillir, de se repentir, puis de l'accuser de tous les maux : il ne la touchera plus.
Victime en route d'un malaise, l'auteur de Guerre et paix se réfugie dans la maison du chef de gare d'Astapovo, au sud-est de Moscou, où les journalistes accourent de toutes parts. L'écrivain meurt le 7 novembre.
Tout avait si bien commencé pour eux !
Le comte Tolstoï, 35 ans, conquiert d'emblée Sofia, presque moitié plus jeune, en lui lisant des extraits de son journal.
Avec une passion pour la vérité, ils se jurent de n'avoir aucun secret l'un pour l'autre et se marient.
Admirant passionnément Tolstoï, Sofia sera longtemps une épouse zélée, lui servant de scribe et de correctrice.
Elle retranscrivit jusqu'à sept fois Guerre et paix.
Tolstoï était son dieu.
Les choses se gâtèrent lorsqu'elle découvrit dans leur domaine une paysanne dont il avait eu un fils, qui servait de cocher à leurs enfants.
La jalousie poussa l'épouse à se déguiser en paysanne le soir, afin de s'assurer que son mari ne continue pas de voir en cachette sa rivale.
Lasse d'allaiter, elle osa à la cinquième grossesse demander des moyens contraceptifs, mais l'ogre refusa, horrifié qu'elle puisse vouloir se soustraire aux lois de la "nature". Déjà occupée à soigner leurs paysans, elle était chargée de la gestion de leur domaine, Tolstoï se vouant à la chasse et à l'écriture.
Enfin le romancier redécouvrit les Évangiles et partit en guerre contre le démon du péché, la corruption de l'Église et le pouvoir abusif des tsars.
Après avoir tant joui de ses privilèges d'aristocrate, d'écrivain et de mâle, Tolstoï veut désormais une épouse aussi pieuse et austère que lui.
Redoutable homme d'affaires autrefois, il exige qu'elle renonce à leurs biens, alors qu'elle a plus besoin d'argent que jamais pour élever leurs enfants.
Il rêve de la voir arpenter les campagnes pour soulager la misère, mais elle n'aime que courir les bals en ville - comme lui autrefois.
Excédé par sa célébrité, après l'avoir ardemment voulue, il ne signe plus que des prêches égalitaires et pacifistes, qui inspireront Gandhi.
Il fabrique ses bottes, scie son bois et part au secours des affamés, dans l'espoir de devenir " l'homme nouveau " dont parlait saint Paul.
Habillé en moujik hirsute, il s'entoure d'une secte qui envahit Iasnaïa Poliana et le monte contre sa femme.
L'écrivain qui semblait saisir les êtres vivants, et les femmes en particulier depuis Anna Karénine, ne comprend plus son épouse.
Usée par l'éducation de leurs treize enfants, choquée par l'indifférence de l'écrivain à la mort en bas âge de quatre d'entre eux, Sofia développe un féminisme qui s'enflamme à la publication de La Sonate à Kreutzer, la nouvelle où Tolstoï évoque sans pitié leur mariage, le "péché" qu'elle porte en elle, les désirs bestiaux qu'elle attise en lui.
Blessée, Sofia prend à son tour la plume pour rendre l'enfer que lui fait vivre un mari aussi jaloux qu'elle et l'idylle platonique que lui inspire un pianiste.
Elle écrit : "À qui la faute ?", puis "Romance sans paroles", deux récits qui donnent une si mauvaise image de Tolstoï que l'entourage la dissuade de les publier.
Sofia n'aspirant qu'à une vie normale au sein de leur caste, le fossé ne cessera de s'agrandir. Les époux persistent à se lire leurs journaux respectifs, mais cette sincérité obligée est devenue si blessante que Tolstoï en vient à tenir en secret un second journal pour réellement dire ce qu'il pense.
Sofia finit par se lever la nuit pour fouiller les tiroirs de Léon et par se persuader qu'il est l'amant de Tchertkov, le disciple tout-puissant.
L'âge la rendant aussi irascible qu'autoritaire, elle aussi pense à fuir, se tuer...
Chacun peut désormais se faire son opinion sur ce couple impossible, qui aimait rendre le public témoin de ses déchirements
Ma vie, l'autobiographie inédite de Sofia, ainsi que le témoignage romancé de leur fils Léon, écrivain lui aussi.
Si Tolstoï ressort littérairement grand vainqueur de cette confrontation, il n'est pas sûr qu'il l'emporte humainement. Ses prêches en faveur de l'abstinence finissent par embarrasser, devant la brutalité récurrente de ses désirs ; on en vient à compatir avec Sofia, si prévisible.
" Si je pouvais le tuer, puis le recréer exactement identique, je le ferais avec plaisir ", confiait-elle.
Leon et Sofia 1910
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